« Artisan urbain » et « artiviste », tel est la définition du pochoiriste Les Graffs du justicier que l’on retrouve dans sa bio sur ses réseaux sociaux. Armé de ses pochoirs et ses bombes, il impose quotidiennement son art underground aux Rennais. N’a-t-il pas honte ? Non, du tout. Loin de vouloir rallier les personnes à sa cause, il souhaite surtout interpeller, car il n’existe pas plus fondamental chez l’être humain que la remise en question… Et si c’est par le biais de la création artistique, c’est encore mieux.
Son blaze : Les Graffs du justicier. Son médium : le pochoir. Son terrain de jeu : la rue. Et sa signature : une croix entourée, symbole punk par excellence qui l’a agrémentée d’une petite particularité, « elle tourne dans le sens inverse d’une montre pour dire que je ne vais pas dans le même sens que tout le monde et que je n’en ai pas envie ». C’est dans un petit bar du centre que nous avons rencontré le justicier. La sculpture d’un homme retourné dans un tonneau nous accueille devant l’entrée et, une fois installés sur des tabourets autour d’un tonneau qui fait office de table haute, l’entretien commence. L’artiviste (néologisme des mots « artiste » et « activiste ») Le Justicier nous parle de ses graffs…
Depuis 2017, ses pochoirs alternatifs habitent Rennes avec engagement : punk à la rose, cadre et flic à la tête de porc, masque à gaz, personne encagoulée, etc. Ancien musicien, Les Graffs du justicier est entré dans le milieu du graffiti par une porte un peu particulière, celle du thérapeutique. Pendant 15 ans, le quarantenaire a sillonné bars et salles de concert avec ses groupes de punk rock avant d’arrêter en 2015 à la suite d’un traumatisme sonore avec acouphène majeur. En manque de création artistique, il trouve dans le pochoir le moyen de combler le vide laissé par la musique. « Le côté simple et efficace, rapide et percutant correspond bien à la culture alternative de laquelle je suis issu », précise le pochoiriste dont le blaze est une référence au dernier groupe hip hop – punk rennais dans lequel il était le bassiste. « Le chanteur était un fan de théâtre donc il créait tout un monde quand on montait sur scène. » Sans vraiment l’expliquer, mais le faut-il vraiment, il s’est retrouvé dans cette pratique qui lui a permis de « rester psychologiquement stable et ne pas déprimer », confie-t-il.
Le virus chopé, la passion née, il sort des expérimentations à domicile pour côtoyer la rue avec des amis. « Ça faisait sens et ça correspondait à mes valeurs. « Après les petits formats, il impose son art grandeur nature à la vue de tous et toutes. « L’illégalité questionne au départ et fait un peu peur », avoue-t-il quand il repense à ses premières invitations à pocher dans l’espace public. Pour cette raison, il commence par coller ses pochoirs plutôt que de poser directement sur le mur. « C’est toujours illégal, mais l’amende est moins salée. » L’affichage sauvage comme le collage d’un pochoir est passible d’une amende de 1500 € (plus les frais de nettoyage : 17 € par sticker / 32 € par affiche pour Rennes). Le vandalisme, comme le graffiti ou le tag, lui, est passible d’une amende entre 3750 € et 30 000 €, et le ou la coupable peut encourir jusqu’à 2 ans de prison. « Tout ce qui est illégal m’attire et la petite piqûre d’adrénaline est chouette. C’est un petit plus par rapport à mon passé musical. »
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’artisan urbain possède une petite pratique vandale, mais effectue également des commandes dans des lieux en accord avec ses valeurs : bars et associations comme Utopia 56. « Je n’ai rien contre le street-art ultra démocratisé et institutionnalisé, c’est le métier de certaines personnes. Moi, j’ai un boulot à côté, je le fais pour le fun et le plaisir », argumente-t-il. « Si demain ça devait devenir mon métier, j’aurais peut-être une vision différente, mais à partir du moment où ça devient commercial, ça me gène. La limite est là. » Ce qui est essentiel pour lui, c’est le message tout en restant dans la subversion, « un peu comme quand je jouais dans les groupes de punk rock, on était libres de chanter ce qu’on voulait. »
« Tu peux crier sans faire de bruit en écrivant sur les murs de nos rues, ça peut être sympa aussi. »
Les pochoirs du justicier sont réalisés à la main ou en photomontage. Il pioche des bouts de corps, des bouts de tête, des bouts de bras à droite à gauche sur Internet qu’il reproduit dans son médium de prédilection. Comme un prolongement à sa musique d’autrefois, son art est impliqué politiquement : textes engagés, messages percutants, symboles issus de la culture punk, figures politiques, etc. « Je ne cherche pas à rallier à ma cause, mais juste à interpeller. » Que le passant aime ou déteste, qu’il ait envie de l’effacer ou de le prendre en photo, qu’il ne soit pas d’accord ou que ça le fasse rire, il cherche une réaction : « L’important n’est pas de tout savoir et tout maîtriser, mais de se poser des questions. C’est fondamental dans la vie. »
Dans la caricature politique façon Hara Kiri et Charlie Hebdo à ses débuts, ses sujets se sont a néanmoins élargis avec les années, mais restent en lien avec la culture punk et alternative. Et toujours en noir, blanc et gris. Blek Le Rat fait d’ailleurs partie de ses maîtres. « J’adore le pochoiriste Goin. Le jour où j’atteins ce niveau, halleluya », dit sincèrement Le Justicier. Il apprécie aussi le travail de RNST. « Tu as chez eux une pratique très engagée, mais aussi un travail plus poétique, toujours dans une culture alternative. »
L’artiviste qualifie son art de Dirty art, littéralement « art sale » en français. « Je sais apprécier les œuvres belles et propres chez les autres, mais ce n’est pas ce que je recherche. Le beau ne m’intéresse pas, j’aime ce qui est sale », explique-t-il. « C’est une prise de risque de faire du propre, il faut bien le faire. » Le beau est de toute façon subjectif, tout comme l’art, et il y a autant de pratiques artistiques qu’il y a de regard. Que son travail soit qualifié de “beau” ou de “sale”, dans la mise en scène de problèmes sociaux et sociétaux qui touchent les citoyens transparaît une empathie pour l’humain que ses collaborations prolongent.
Le justicier aime investir des lieux dédiés, tels que les murs d’expression libre ou les endroits à l’abandon (usines, etc.), en collectif. Il collabore autant avec des writers, des collagistes que des photographes. Il a d’ailleurs récemment cofondé un collectif qui croise les genres et les univers, Les Murs Râlent. Avec le collagiste Father Fucker, le pola rider…colleur Alexandre Bouchon, la graffeuse Kim et le dessinateur Michto. Leur première satire artistique fut à l’occasion de la nouvelle année et habitait la devanture d’une boucherie. « Le propriétaire a été contacté par les flics qui le menaçaient de l’envoyer au tribunal pour appel à la haine sur les forces de l’ordre. » Le collectif trouve un subterfuge et édulcore l’œuvre : les visages des personnalités publiques et politiques sont remplacés par des têtes de bisounours. Les têtes de CRS qui grillaient lentement à la broche deviennent quant à elles des licornes.
La deuxième fresque collaborative, réalisée dans un bâtiment près de Saint-Malo, rendait hommage aux morts des violences policières dans le département d’Ille-et-Vilaine sur les trois dernières années. « C’est la ville où est morte la dernière victime, un jeune homme de 19 ans », précise le justicier en faisant référence à Allan, décédé dans un commissariat de Saint-Malo en 2019. « On l’a réalisé le premier jour du procès pour le symbole. On avait commencé sur un mur libre de Saint-Malo, mais il flottait donc on s’est rabattu dans un bâtiment. » Le collage d’un polaroïd de paysage de Bouchon, les visages de défunts ont été reproduits par Michto et Father Fucker. Tous les lettrages ont été graffés par Kim et Les Graffs du justicier avait ressorti la fameuse tête de cochon précédemment utilisée dans la fresque de la boucherie. Hormis leur rituel de la carte de vœux de la nouvelle année, le collectif envisage une à deux prestations par an.
Depuis six ans, les graffs du justicier nous accompagnent au détour d’une rue, à l’entrée d’un parking ou dans un lieu désaffecté. Il sait qu’il ne continuera pas toute sa vie, « à un moment il faut arrêter », mais si le Rennais devait continuer des années, il irait voir d’autres horizons et n’habillerait plus la capitale bretonne de son œuvre subversive engagée. « Je ne pose mes pochoirs qu’à Rennes, parce que le terrain de jeu est encore assez grand, mais je me dis qu’à un moment je me ferai oublier et j’irais ailleurs, voire j’arrêterais. Je ne peux pas encore le dire », conclut-il. « Pour l’instant j’ai trouvé un équilibre et j’ai encore la passion.»
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