Dans les librairies, les vedettes de la cuisine, en vogue à la télévision ou sur les réseaux sociaux, prolongent leur influence sur le papier. Leurs ouvrages font bouillir la marmite du marketing. C’est le cinquième volet de notre enquête consacrée à la fracture alimentaire.
Au coin de la place du Parlement, à Rennes, l’annexe « Bien-Vivre » de Le Failler, l’une des plus grandes librairies de Bretagne, dédie la moitié de ses rayons à la cuisine. Les ouvrages arborent des photos de nourriture alléchantes, des couleurs vives et une belle typographie pour attirer l’œil.
Sur certaines couvertures, on distingue des visages connus des réseaux sociaux ou d’émissions culinaires.
Les bonnes recettes des influenceurs
Posé sur l’îlot central, Fait maison, le dernier ouvrage du pâtissier star de la télévision Cyril Lignac, côtoie le best-seller C’est Tarpin Bon ! des instagrammeurs Jegurtha et Souad Ait-Yala. Sous ce titre accrocheur, s’affiche fièrement un autocollant « le compte aux deux millions d’abonnés« .
À côté, dans un autre style, les livres sombres aux allures de grimoires de Thibaud Villanova, alias Gastronogeek sur YouTube (320 000 abonnés), mélangent cuisine et culture populaire.
En face, sur l’étagère « diététique », les bouquins de Bérangère Philippon (@0sucre_et_igbas, 240 000 followers sur Instagram), coach en nutrition et Jessie Inchauspé (@glucosegoddes), biochimiste star aux 3,7 millions d’abonnés sur Instagram, sont en tête de gondole.
« Le livre de l’influenceuse AnnaRvr est la meilleure vente de l’année », analyse Léa Verdoni, responsable du rayon cuisine. Il s’agit d’Happy Hours, sorti en septembre 2023, dans lequel la créatrice de contenu regroupe ses recettes très tendance, du petit-déjeuner au retour de soirée, en passant par ses conseils de vie.
Sur YouTube et Instagram, depuis plus de dix ans, la jeune Lyonnaise partage son quotidien avec ses quelque 500 000 abonnés. Au programme : mode, voyage, beauté, sport mais aussi de bonnes adresses et des idées de repas healthy [sains].
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Ce succès a surpris les libraires du quartier historique. C’est la première fois qu’une œuvre papier de youtubeuse se vend aussi bien. Leur clientèle est d’habitude plus inspirée par le chroniqueur gastronomique François-Régis Gaudry. « Quand il parle d’un chef ou d’un livre le dimanche dans son émission On va déguster sur France Inter, les gens viennent me demander la référence dans la semaine », sourit Léa Verdoni.
Autre carton auprès de ses lecteurs : le guide Pur Beurre, une sélection de deux cents adresses dans la région, dirigé par le journaliste culinaire et rédacteur en chef de Bretons en cuisine, Olivier Marie.
Épais, massifs et esthétiques, les créations littéraires du journaliste François Régis Gaudry et de l’influenceuse AnnaRvr se ressemblent sur la forme. Un titre en lettres capitales et une fourchette stylisée sur fond rose, la couverture d’Happy Hours a des airs des livres Assouline.
Ces véritables objets de décoration, en vogue sur les réseaux, se vendent à plus de cent euros (environ trente euros pour celui de la créatrice de contenu). Les beaux ouvrages, que l’on peut exposer chez soi et montrer sur Instagram, ont la cote, particulièrement dans les librairies de centre-ville.
« Aujourd’hui, une partie du marché met le beau livre en avant. C’est même parfois presque une œuvre d’art, avec une hyper belle couverture et un prix élevé », souligne Julia Rerolle, directrice marketing de Hachette Pratique.
C’est d’ailleurs le credo de la maison d’édition pour la cuisine. Ces beaux objets doivent être incarnés, par des chefs ou par des créateurs de contenus culinaires. « AnnaRvr est un ovni dans le milieu car elle n’est pas dans la cuisine au départ, remarque Julia Rerolle. Mais avant elle, des professionnels du milieu ayant une importante communauté sur les réseaux, comme Diego Alary, ont publié et vendu beaucoup d’exemplaires. » Cet ancien candidat de Top Chef a connu le succès en 2021 avec son livre de recettes.
Comme Diego Alary, les jurys et les candidats d’émissions culinaires profitent de leur notoriété, acquise sur le petit écran, pour vendre des livres. L’étiquette « Vu à la télé » séduit les clients. Les créations de Roxane ou Julia, candidates au Meilleur Pâtissier, fonctionnent particulièrement en grandes surfaces, où le public est plus familial que celui des librairies de centre-ville.
Dans le centre commercial Grand Quartier, à Saint-Grégoire, parents et enfants arpentent la galerie, des sacs floqués du logo de grandes enseignes à la main ou poussant un caddie rempli de courses. À l’entrée de Cultura, reconnaissable à sa façade orange et bleue, le rayon cuisine déborde d’ouvrages colorés, plus appétissants les uns que les autres. Un présentoir aligne les « Top ventes » de la semaine : La bible du Airfryer, le livre de Jessie Inchauspé, ainsi que celui du chef star du petit écran Philippe Etchebest et sa méthode mentor, y sont exposés.
D’autres opuscules retranscrivent à la lettre les recettes réalisées par des participants aux émissions culinaires. Ces derniers sont des produits marketing, souhaitant profiter de la bonne audience télévisuelle. « Sincèrement, je ne conseille pas de faire les recettes du livre Top Chef, avoue Pierre Éon, chef rennais ayant participé à la saison douze. On est interrogé sur les grammages de notre plat juste à la sortie de l’épreuve. À chaud, on donne des chiffres au hasard. »
« Faire un livre, ce n’est pas uniquement se faire plaisir, c’est aussi faire du commerce, mais ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi », assure Jean-François Mallet, créateur de la série de manuels de recettes Simplissime.
Lui refuse, pour des raisons « idéologiques », de s’exposer sur les réseaux sociaux. Il n’en a d’ailleurs pas besoin pour vendre ses publications. « Dix ans après la création du premier tome, la collection est toujours dans nos meilleures ventes », s’étonne Julia Rerolle, directrice marketing de Hachette Pratique.
L’auteur, cuisinier et photographe de profession, a mis en place une méthode de cuisine simple : six ingrédients (maximum) en photos sur fond blanc et une recette expliquée en quelques lignes.
Il n’a pas eu de mal à convaincre ses lecteurs et Simplissime s’est rapidement imposé comme un répertoire sûr. « Les gens savent que les recettes marchent, qu’elles sont faciles à comprendre, que les ingrédients sont simples à trouver, soutient Jean-François Maillet. Donc ils en redemandent. »
Comme Simplissime, les ouvrages de cuisine sont appréciés pour leur côté pratique. « Ce qui est bien dans les livres c’est que tu as tout d’un coup, pas la peine de faire plein de recherches sur internet, estime Corinne Hulin, libraire à la Fnac de Quimper. Sur les réseaux tu peux vite être débordé, il y a beaucoup de doublons. »
Selon une enquête Harris Interactive publiée en 2024, les Français qui cuisinent déclarent en priorité chercher des idées de recettes sur internet (49%) ou dans des livres spécialisés (46%). Le digital n’a pas enterré le papier.
Anna Audegond, Camille Debaud et Camille Margerit
Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une enquête, en partenariat avec le master de journalisme de Sciences Po Rennes.
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