Enquête Deux jeunes patrons « flambeurs » mènent leurs Monop’ et Franprix à la faillite

Les unes après les autres, les supérettes de la holding bretonne Onyx ferment. Des Monop’ et Franprix en faillite. Près de 200 salariés se retrouvent abandonnés. Onyx, créé en 2022 par Alexis Désilles et Laurent Castel, âgés respectivement de 30 et 28 ans, a des allures de pieuvre financière avec sa multitude de petites sociétés.

Les deux associés ont-ils eu les yeux plus gros que le ventre ? Les deux hommes se voyaient gérer entre 60 et 80 supérettes d’ici à 2025 et à la tête de 750 salariés. « Leur objectif était d’être les mieux franchisés de France. D’ouvrir le plus de magasins possible », confie à Enquêtes d’actu un ancien salarié de Franprix. Les employés que nous avons rencontrés parlent de « magouilles » en pagaille.

Au cours de notre enquête, nous avons découvert des fausses factures qui couvrent des travaux fictifs réalisés dans les supérettes d’Onyx par une entreprise de bâtiment que détient ce groupe de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). L’un des deux associés, Laurent Castel, a été condamné à ne plus gérer de près ou de loin une entreprise. Pourtant, il est aujourd’hui dirigeant d’au moins deux sociétés en activité. Et au sein du groupe Onyx, « il était le gérant de fait ; Alexis Désilles n’était qu’un pion », pointe un ancien directeur de magasin.

« Deux jeunes qui vendent du rêve »

Le 22 janvier, le tribunal de commerce de Saint-Malo a terminé la liquidation des huit dernières supérettes sous la franchise Monop’ et Monoprix que gérait jusque-là le groupe Onyx. Quatre autres avaient été liquidées en décembre 2023. Ces 12 magasins totalisaient six millions de passif en quelques mois d’existence.

Un désastre économique qui concerne aussi huit magasins franchisés Franprix en Auvergne-Rhône-Alpes. Ceux-ci font aujourd’hui l’objet d’une demande de mise en redressement judiciaire auprès du tribunal de commerce de Saint-Malo.

Ces salariés disséminés un peu partout en France se retrouvent sur le carreau. Le groupe Casino (maison-mère de Franprix et Monoprix) et les salariés qui ont signé leur contrat au lancement de ces supérettes ont fait confiance au duo.

« On voit deux jeunes qui vendent du rêve, assez sûrs d’eux. Si on ne se renseigne pas sur eux, on tombe dans le panneau », nous rapporte un ancien salarié d’un des Franprix.

Le PDG du groupe Onyx devant le Monop' de Fougères (Ille-et-Vilaine).
Le PDG du groupe Onyx, Alexis Désilles devant le Monop’ de Fougères (Ille-et-Vilaine). (©archives / La Chronique républicaine)

Une interdiction de gérer pour cinq ans

En octobre 2022, les deux hommes ont donc créé le groupe Onyx, dont le siège social est basé au château de Bonaban à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Officiellement, Alexis Désilles est le président directeur général (PDG) d’Onyx et Laurent Castel, un simple employé « chargé du développement du groupe Onyx », avec une rémunération de 3 250 euros brut mensuelle, comme on peut le lire sur les comptes sociaux de 2022 de la société. Mais cela ne serait que fable d’après plusieurs anciens salariés que nous avons rencontrés.

Monsieur Castel avait une implication totale. Il venait chercher l’argent de la caisse quand je ne pouvais pas l’emmener à la banque.

Un ancien collaborateur du groupe Onyx.

Prenons pour preuve de cette implication au sein d’Onyx sa signature apposée au bas d’un mail envoyé le 2 septembre aux salariés des magasins Monop’ afin de leur expliquer la situation tendue dans laquelle ils sont entrés et qui les mènera à leur chute. Autres éléments : selon un gestionnaire de biens immobiliers que nous avons contacté, le bail du Franprix de Valence a été signé par Laurent Castel ; un ancien directeur de supérette nous affirme n’avoir jamais vu ou entendu Alexis Désilles, en revanche, « lors de nos réunions Teams [un logiciel de visioconférence, NDLR], c’était monsieur Castel qui nous donnait des ordres ».

Et pourtant, sur le papier, le jeune entrepreneur ne peut pas diriger Onyx puisqu’il est sous le coup d’une interdiction de gestion émanant du tribunal de commerce de Libourne (Gironde). En décembre 2019, le juge a prononcé à son encontre « une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de cinq ans ».

Laurent Castel est mentionné par plusieurs anciens salariés du groupe Onyx comme le
Laurent Castel est mentionné par plusieurs anciens salariés du groupe Onyx comme le « gérant de fait ». (©archives / Le Pays Malouin)

Malgré tout, Laurent Castel serait dirigeant, selon les données publiques, de deux sociétés de location de terrains et biens immobiliers créées après cette condamnation : Immopro et la SCI Granit bleu. Il a aussi été gérant de GV caves, société fondée en 2016, mais radiée en 2019 pour cessation d’activité (voir notre infographie).

Laurent Castel est né dans les Pyrénées-Atlantiques. À la séparation de ses parents, il part rejoindre sa mère dans le Bordelais. Il obtient un bac commercial avant d’intégrer une école de commerce réservée aux plus fortunés, en Suisse: l’Institut Rosenberg à 120 000 euros l’année. À sa sortie d’école en 2015, à seulement 19 ans, il crée sa première entreprise, une société de négoce en vin, appelée Entre terre et hommes, à Libourne. Il mentionne sur les réseaux sociaux ses allers-retours à New York pour son nouveau business.

Sa société est liquidée en 2018. C’est cette première expérience entrepreneuriale qui le conduira à être interdit de gestion. Disons qu’il aurait fait preuve d’une imprudente légèreté en ne tenant pas de comptabilité et en ne se présentant pas aux convocations du tribunal de commerce.

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Alexis Désilles est lui originaire de Rennes. À nos confrères du Pays Malouin, il dit « connaître le métier » pour avoir géré un Proxi durant un an et un magasin Coccinelle de Fougères (Ille-et-Vilaine), devenu Monoprix d’Onyx, pendant une année également.

« Ils m’ont fait croire qu’ils étaient spécialistes, alors qu’ils ne sont spécialistes de rien du tout, ni de la distribution ni d’autre chose, peste un ancien directeur de magasin. Je me suis vite aperçu qu’on me prenait pour un idiot. »

Ils prétendent détenir un château à Saint-Malo

Les deux hommes sont souvent décrits par leurs anciens collaborateurs comme des « flambeurs » à qui l’argent serait monté à la tête. Leur affabulation autour du château de Bonaban étaye parfaitement cette réputation.

Sur le site internet de la filiale Ker Bâti, le groupe Onyx prétendait être propriétaire de cette magnifique propriété de 2 000m2 à Saint-Malo et de ses 25 hectares avec étangs et bois. Depuis que les ennuis ont commencé, la société de rénovation a retiré cette assertion. Le nettoyage a continué avec la disparition du site internet d’Onyx sur le web.

Le château appartient en fait à deux copropriétaires de la région malouine. Ceux-ci l’avaient acquis en 2021, pour un projet immobilier qu’ils ont abandonné lorsqu’Alexis Désilles et Laurent Castel se sont portés acquéreurs, comme le rapporte le Pays Malouin.

Ensemble, ils étaient allés jusqu’à signer un compromis de vente. Sauf que… « en octobre 2023, Onyx nous a expliqué qu’il n’était plus en mesure de racheter le domaine. Nous avons perdu deux ans », se désole l’un des propriétaires. Aujourd’hui, le château est à vendre pour la modique somme de 2,95 millions d’euros. Onyx ne loue plus que les 225m2 de l’un des pavillons annexes de Bonaban où travaillent encore une dizaine de salariés.

Alexis Désilles plaide l’« erreur de jeunesse et de communication », lorsqu’il évoque cette histoire dans l’hebdomadaire malouin : « On a anticipé ce qui n’était pas acquis. »

Le groupe Onyx loue une annexe du château de Bonaban où une dizaine de salariés seraient encore sur place.
Le groupe Onyx loue une annexe du château de Bonaban où une dizaine de salariés seraient encore sur place. (©Pays Malouin)

Voitures de luxe et entreprises à l’étranger

L’image du château breton a été largement exploitée sur les réseaux sociaux de Laurent Castel. Sur certaines de ses stories Instagram, l’homme poste des photos de Ferrari garées devant l’immense bâtisse, publie une photo de motos cross roulant à l’intérieur même du château… Laurent Castel s’affiche au volant d’une Maserati roulant à 160 km/h. Les deux associés viennent au château au volant de Jaguar sport et belle Audi.

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Ils se mettent en scène et donnent l’impression de mener la grande vie. « Ce sont des mecs qui flambent, ils ont 30 balais, roulent en Porsche Cayenne… », réagit, amer, un ex collaborateur.

J’avais super bien sympathisé avec Castel. Il me parlait de ses voitures, de ses entreprises aux USA, en Afrique. C’est un gros flambeur. J’ai mis un an à me rendre compte que ce n’était que du vent.

Un ancien salarié d’Onyx.

Des faux travaux et de fausses factures

Au cours de notre enquête, nous avons intercepté une lettre envoyée au procureur de la République de Saint-Malo, émanant d’anciens salariés. Elle dénonce à la justice ce qui semble être un système de fausses facturations.

Ker Bâti, société spécialisée dans la rénovation, a facturé à sa maison-mère Onyx, 2,2 millions d’euros de travaux. D’après les documents que nous avons consultés, plusieurs centaines de milliers d’euros d’interventions facturées n’ont pas été réalisées.

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Ker Bâti n’est jamais venu dans le magasin et quand j’ai vu des travaux soi-disant effectués sur la facture, j’ai halluciné. C’est débile de faire ça parce que n’importe qui peut vérifier. Ils nous ont pris pour des idiots finis.

Un ancien salarié d’Onyx

« Dans notre magasin, il n’y a pas de chauffage, pas de clim, pas de caméras et pourtant, ces travaux sont sur les factures », nous détaille un ancien salarié sous couvert d’anonymat. Même scénario dans un autre magasin : « Ils ont facturé des travaux comme la climatisation, l’alarme, la grille d’entrée, qu’on n’a jamais eues. Ce sont des fausses factures. »

« Les fenêtres étaient obturées pour que personne ne nous voie »

Un salarié de Ker Bâti nous relate comment cette entreprise, à son époque, « s’asseyait sur les règles de sécurité ». « Des organismes de vérification ont dû venir à quatre reprises pour un magasin. Il y a eu des retards de livraison de matériaux, pas de planning de travaux, pas de plans. » Il présente des photos de sanitaires du personnel aux cloisons mal finies et à peine peintes.

Dans un magasin, « comme on n’avait pas encore le permis pour les travaux, on travaillait avec les fenêtres obturées pour que personne ne nous voie ».

Il se remémore aussi la fois où « lors d’un contrôle, comme la réserve n’était pas aux normes, on a obstrué la pièce pour que ça ne se sache pas ; et une fois le contrôle de sécurité effectué, on l’a rouverte ».

C’est un mixte entre l’incompétence et la magouille : l’idée était de baisser les coûts et d’aller au plus vite. Je n’ai jamais vu ça en 25 ans de carrière.

Un salarié de Ker Bâti.

La société Ker Bâti, fondée fin 2022, était qualifiée de « pépite » par Alexis Désilles, interrogé par nos confrères du Pays Malouin en décembre 2023 : « Nous totaliserons bientôt une cinquantaine d’emplois avec un chiffre d’affaires de 7 à 9 millions d’euros. » En cette fin d’année 2023, il évoquait « beaucoup de chantiers » sur le point d’être signés. Mais depuis la médiatisation de leurs mésaventures des commandes se seraient volatilisées.

Des loyers impayés

C’est donc tout le périmètre du groupe Onyx qui semble prendre l’eau. Et les problèmes ont commencé très tôt. Les magasins n’étaient pas ouverts depuis quelques mois que les premiers huissiers se manifestaient. « On s’est rendu compte que les loyers du magasin n’étaient pas payés depuis le début », souligne une ancienne salariée. Même schéma dans les magasins Franprix de la région lyonnaise.

Pour l’un d’entre eux, les loyers n’ont été versés que pour un trimestre, sur 18 mois d’exploitation. « Le magasin a été fermé brutalement. Le système de climatisation qui avait été posé en lieu et place de la précédente installation a été embarqué et le local n’a pas été remis à son état initial. Il n’y a plus de lumière, plus de chauffage. Les dirigeants sont aux abonnés absents », détaille un gestionnaire de biens pour le compte d’un propriétaire. Celui-ci affirme qu’il y a eu un dépôt de plainte pour vandalisme et non paiement de loyer. « Entre les loyers impayés et travaux, on dépasse largement les 150 000 euros de préjudice. »

À partir du mois d'août 2023, la centrale de Monoprix a arrêté de livrer les Monop' du groupe Onyx. Le même problème est survenu en décembre pour les Franprix de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
À partir du mois d’août 2023, la centrale de Monoprix a arrêté de livrer les Monop’ du groupe Onyx. Le même problème est survenu en décembre pour les Franprix de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Les rayons se sont vidés, les clients ont déserté. (©Raphaël Tual / Enquêtes d’actu)

Les propriétaires n’étaient pas les seuls à ne pas être payés. Cela a été également le cas des centrales d’achats de Monoprix et Franprix qui, en conséquence, ont cessé leurs livraisons, respectivement en août et décembre 2023. Autres victimes : des entreprises locales.

« La direction nous incitait à trouver des fournisseurs locaux, mais comme ils ne les payaient pas, cela a engendré de nouvelles dettes », résume un ancien directeur d’épicerie. « J’ai eu des courriers d’huissiers et de fournisseurs toutes les semaines pour des impayés », se souvient un autre.

La faute rejetée sur Franprix et Monoprix

Au milieu de cette avalanche de critiques négatives et de suspicions, un ancien manager opérationnel de plusieurs supérettes Monoprix et Monop’, contacté par nos confrères du Pays Malouin, prend la défense des deux entrepreneurs : « Leur concept était bon, mais leur développement a été trop rapide sous l’impulsion d’une personne que les deux associés ont trop écoutée alors que j’avais tiré la sonnette d’alarme. […] Je pense qu’Alexis Désilles et Laurent Castel ont été mal conseillés même si, au sein du siège social, au château de Bonaban, il y avait des personnes très compétentes. »

Pour expliquer cette débâcle, Alexis Désilles, interrogé par le Pays Malouin en décembre 2023, rejetait la faute sur ses franchiseurs. Il reproche au groupe Casino de les avoir poussés à ouvrir trop rapidement les supérettes, alors que lui même se projetait à la tête d’un réseau de « 60 à 80 commerces alimentaires en trois ans ».

Le groupe Monoprix nous a imposé les lieux d’implantation, des références de produits à mettre en avant, les prix de vente, on ne décidait de rien, on n’avait pas la main.

Alexis Désilles, PDG du groupe Onyx.

La version de Monoprix est tout autre. Pour le groupe Casino, lui-même en difficulté financière, Laurent Castel et Alexis Désilles « sont responsables à 100 % de leurs salariés et de leur gestion » : « Ils n’ont quasiment rien payé de ce qu’ils nous doivent. En résumé, ils n’ont pas réussi le développement de leurs magasins. Il existe 170 franchisés partenaires de Monoprix, jamais nous n’avons rencontré ce genre de difficultés avec des gens qui rejettent la faute ainsi sur le franchiseur. »

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Le groupe Monoprix, qui serait cependant actionnaire de la filiale d’Onyx MDL distribution à hauteur de 26 %, selon Alexis Désilles, s’intéresse à cinq des magasins mis en liquidation. Cette unique offre de reprise sera étudiée le 12 février par le tribunal de commerce de Saint-Malo.

D’autre part, Alexis Désilles et Laurent Castel sont en discussion avec Franprix, actionnaire à hauteur de 49% de la filiale d’Onyx CDF retail, pour la reprise là aussi de tout ou partie des magasins de la région Rhône-Alpes. Auprès d’actu Lyon, Franprix confirme « la tenue de discussions pour trouver la meilleure solution afin de pérenniser l’activité, les emplois et tous les magasins ».

Dans le cadre de cette enquête, ni Laurent Castel, ni Alexis Désilles, ni le procureur de la République de Saint-Malo n’ont donné suite à nos sollicitations.

Une enquête réalisée par Pierre-Yves Gaudart (le Pays Malouin), Rémi Charrondière (la Chronique républicaine) et Raphaël Tual.

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