Écrans : comment faire décrocher les ados

Pas de smartphone avant 13 ans : telle est l’une des préconisations d’un rapport alarmant sur les enfants et les écrans. Comment les amener à se déconnecter ? Tour d’horizon des initiatives déjà mises en place.

 “Sur le terrain, les familles craquent, elles ont besoin qu’on les aide à protéger leurs enfants”, rapporte la psychologue Sabine Duflo.  “Sur le terrain, les familles craquent, elles ont besoin qu’on les aide à protéger leurs enfants”, rapporte la psychologue Sabine Duflo.

“Sur le terrain, les familles craquent, elles ont besoin qu’on les aide à protéger leurs enfants”, rapporte la psychologue Sabine Duflo. Photo Annie Flanagan/NYT-Redux-Rea

Par Marion Rousset

Publié le 20 mai 2024 à 06h00

Cest un hôpital psychiatrique, dans la banlieue d’Orléans, comme on n’en fait plus. En bordure de forêt, les bâtiments vieillissants de l’établissement Georges-Daumézon font grise mine, comme le ciel assombri de nuages qui pèse sur Fleury-les-Aubrais en ce premier lundi de mai. Dans ce site d’un autre temps a ouvert, au mois de février, un dispositif innovant à destination des adolescents accros aux écrans.

Le visage juvénile masqué sous une longue mèche brune, Léo (le prénom a été changé) triture le cordon de son sweat à capuche. Dans son dos, sur le mur nu d’un bureau encombré de cartons, une photographie de Doisneau montre un écolier concentré devant son ardoise, qui cherche la solution au plafond.

La psychologue Sabine Duflo, membre du collectif Cose (Collectif surexposition écrans) et autrice d’un ouvrage intitulé Il ne décroche pas des écrans !, s’assied en face de lui. « J’ai supprimé mon compte Twitter il y a une semaine, souffle l’adolescent de 15 ans. C’était trop toxique. Je me suis mis dans une merde… »

J’ai eu des centaines de commentaires. Ça m’a fait ultra peur. Il peut arriver des dingueries !

Léo, 15ans

Une histoire de vanne postée sur la plateforme, mal traduite peut-être, mal comprise certainement, qui lui a valu des torrents de haine. « Il y a peut-être cinq cent mille personnes qui ont vu mon post. J’ai eu des centaines de commentaires. Ça m’a fait ultra peur. Il peut arriver des dingueries ! » Comme d’être « doxé », voir ses informations personnelles divulguées sur les réseaux sociaux.

À cette idée, Léo n’a pas dormi. Roulé en boule dans son lit, il n’arrivait pas à se sortir cette histoire de la tête. « Tout ça pour une simple blague », fait mine de s’étonner la psychologue, qui éclaire ensuite, par petites touches, l’engrenage dans lequel il est tombé. « Tu vas me détester », glisse-t-elle enfin… avant d’inviter le père, en attendant la prochaine séance, à fournir à son fils un téléphone sans Internet et à prévoir des sorties avec lui.

« Les parents de Léo ont mon e-mail et mon numéro de téléphone, ils peuvent me joindre en cas de besoin, car souvent le sevrage génère des réactions très difficiles. On nous dit que parler, négocier, discuter vaudrait mieux que mettre des règles. Sauf que le produit est tellement addictif que ça ne suffit plus du tout. Sur le terrain, les familles craquent, elles ont besoin qu’on les aide à protéger leurs enfants. »

Le rapport remis fin avril à Emmanuel Macron par les experts de la commission « écrans » va dans son sens. Leur message a le mérite d’être clair, à défaut d’être dans l’air du temps : pas de téléphone avant 11 ans, puis un portable « brique ou à clapet » (qui permet d’appeler ou d’envoyer un SMS) pour l’entrée au collège. Et surtout, pas de smartphone avant 13 ans, ni d’accès aux réseaux sociaux – à condition qu’ils soient « éthiques », comme Mastodon et Bluesky – avant 15 ans.

La seule façon de protéger les adolescents est de faire en sorte qu’ils n’aient pas accès à ces produits, comme on l’a fait pour le tabac et l’alcool.

Servanne Mouton, neurologue 

« La littérature scientifique s’achemine vers une reconnaissance du caractère addictogène d’éléments du design de certaines plateformes. La seule façon de protéger les adolescents est donc de faire en sorte qu’ils n’aient pas accès à ces produits problématiques, comme on l’a fait pour le tabac et l’alcool », déclare la neurologue Servane Mouton, coprésidente de cette commission.

Pour aboutir à ces préconisations tout sauf tièdes, les experts se sont appuyés sur une centaine d’auditions de professionnels et ont rencontré environ cent cinquante jeunes. En tout état de cause, on sait que le temps passé devant les écrans – en moyenne, dix appareils par foyer – croît à mesure que les enfants grandissent, et qu’il devient très difficile à contrôler dès lors que ces enfants possèdent leur propre téléphone, comme c’est le cas de 35 % des 7-12 ans et de l’immense majorité des 13-19 ans.

On connaît aussi les conséquences du Covid sur cette génération, l’une des premières à avoir grandi avec le smartphone (créé en 2007). Il n’empêche. La sur-exposition des ados restait jusque-là tapie dans l’angle mort des politiques publiques. Si celle des tout-petits était pointée du doigt par la Haute Autorité de santé – avec, certes, plus ou moins d’effets –, on se préoccupait peu de leurs aînés.

D’où l’idée de sensibiliser l’opinion à ce sujet. « Si notre message est fort, ce qui était normal jusque-là ne le sera plus, espère Servane Mouton. Les parents arrêteront de donner un smartphone à l’entrée en sixième, car les autres n’en auront pas. » Amine Benyamina, spécialiste en addictologie et coprésident de la commission, en est sûr : « Les collégiens sont conscients de l’emprise des écrans sur eux. Ils demandent à être protégés, notamment des contenus qui les choquent. »

Marie-Alix Leroy, fondatrice du groupe Facebook « Parents unis contre les smartphones avant 15 ans », savoure sa victoire : « 15 ans… Il y a cinq ans (à la création du groupe), on me disait : « Tu t’es trompée de cinq ans. » Je me suis même fait jeter par une association connue et reconnue de parents d’élèves. » Les conclusions du rapport commandé par le chef de l’État apportent de l’eau à son moulin. On ne lui rira plus au nez.

D’autant que l’inquiétude parentale est récemment montée d’un cran devant l’explosion d’affaires de cyber-harcèlement qui ont entraîné suicides et passages à tabac. À la fin du mois de mars, des familles se sont regroupées au sein du collectif Algos Victima pour assigner TikTok en justice après une première plainte, en 2023, pour « provocation au suicide », « non-assistance à personne en péril » et « propagande ou publicité des moyens de se donner la mort ». Elles accusent l’application chinoise de ne pas assez protéger les utilisateurs mineurs et veulent sensibiliser le grand public et les responsables politiques aux effets addictifs des algorithmes.

Une autre initiative, locale cette fois, a vu le jour en Ille-et-Vilaine où un père de famille, Olivier Le Port, vient de lancer un « pacte » pour faire reculer l’âge d’obtention du premier smartphone. Amendé par des enseignants et des professionnels de santé, ce texte a été signé sur change.org par quelques centaines de parents de son département. L’idée de cet habitant de Betton, dans la première couronne de Rennes, est simple : si les amis de son fils Amaury, qui entre en sixième à la rentrée, n’ont pas de téléphone, il sera plus facile de tenir le cap.

« Jusque-là, j’arrivais à préserver mes enfants des écrans. Quand on s’habitue à faire autre chose, on n’en réclame pas. Mais à l’approche du collège, on ne maîtrise plus rien, car on dépend du choix des autres. » La pression sociale, voilà l’ennemi numéro un d’Olivier Le Port, qui s’inspire d’un mouvement mondial de fronde parentale à l’ère digitale.

En Espagne, des parents d’un quartier de Barcelone ont ainsi créé en septembre un groupe Telegram baptisé « Adolescence sans portable », qui se décline maintenant dans presque toutes les régions du pays. Au mois de janvier, des familles américaines manifestaient à Washington DC munies de photos de leurs enfants, pour réclamer une meilleure protection en ligne des plus jeunes. En Irlande, des associations de parents d’élèves de la ville de Greystone ont adopté un « code sans smartphone » dans le but de proscrire les téléphones jusqu’à l’entrée au lycée. Leur credo à tous : l’union fait la force.

Encore faut-il, pour cela, que l’Éducation nationale y mette du sien. Depuis 2018, en France, téléphones mobiles, tablettes et montres connectées sont interdits dans l’enceinte des écoles et des collèges. Il n’empêche que les élèves continuent d’utiliser leur smartphone dans les toilettes et de le laisser parfois allumé lors des cours pour regarder l’heure ou répondre à des messages. D’où la déclaration de la ministre, Nicole Belloubet, qui souhaite expérimenter une « pause numérique complète » au collège dès la rentrée 2024.

Elle a proposé que les portables soient, par exemple, déposés à l’entrée, dans des casiers prévus à cet effet, et récupérés à la sortie. Depuis l’an dernier, un lycée du Gard teste ce dispositif le temps d’une journée, et bientôt sur plusieurs jours d’affilée. Cette « parenthèse déconnectée » – suivie par une chercheuse en neurosciences, Laurie Galvan, à l’université de Nîmes – s’étalera sur trois ans.

« Au début, les élèves étaient tellement crispés sur leur « doudou » qu’ils nous demandaient comment ils allaient faire pour retrouver leurs copains dans la cour. Et puis ils ont dédramatisé ! À la place, on leur propose des jeux de société ou des activités comme la pétanque ou le ping-pong », insiste David Cayuela, qui pilote les opérations.

Ce professeur de lettres modernes au lycée Lucie-Aubrac y croit dur comme fer : « Avant, j’avais toujours une vingtaine d’élèves sur trente-cinq qui lisaient en entier les œuvres intégrales sur lesquelles nous travaillions. Aujourd’hui, ils ne sont plus que cinq ou six par classe. Comment voulez-vous qu’un lycéen qui se bombarde le cerveau de dix vidéos TikTok entre chaque cours ait la patience de lire Balzac, dont la narration se déploie sur des centaines de pages ? »

À Villemomble (Seine-Saint-Denis), cette solution avait été envisagée dès 2018 par le collège privé Saint-Louis. « Dans un premier temps, on pensait confisquer les smartphones pour la journée, mais ça posait trop de problèmes logistiques », regrette le directeur, Francis Boyer. Qu’à cela ne tienne, depuis six ans, l’établissement fournit à tous les élèves de sixième un appareil sans Internet, dont l’achat est inscrit dans les frais de scolarité. Ces derniers temps, il met même les parents au défi de renoncer au smartphone en dehors de l’école. « On me dit que j’entre dans la sphère privée, mais les études me donnent raison », plaide-t-il.

Aujourd’hui, 35 % des 7-12 ans et l’immense majorité des 13-19 ans possèdent leur propre téléphone. Aujourd’hui, 35 % des 7-12 ans et l’immense majorité des 13-19 ans possèdent leur propre téléphone.

Aujourd’hui, 35 % des 7-12 ans et l’immense majorité des 13-19 ans possèdent leur propre téléphone. Photo Vincent Migeat/Agence VU

10 jours sans écran

Bien sûr, tout le monde ne joue pas le jeu. Mais, à l’en croire, « de plus en plus de parents, sensibilisés sur ce sujet, sont partants pour tenter l’expérience ». Et si le vent était en train de tourner ? Cette année, quatre cent quatre-vingt-treize structures, parmi lesquelles une majorité d’écoles, mais aussi quelques collèges et une poignée de lycées, ont répondu présent au défi « 10 jours sans écran » lancé par le collectif Cose. L’objectif : sur un temps donné, cesser d’utiliser à des fins de loisir consoles de jeux, télévision, ordinateurs, tablettes et smartphones. L’effort collectif a concerné près de soixante-cinq mille élèves qui, du 14 au 23 mai, ont tenu un carnet de bord pour tenter de faire gagner des points à leur établissement.

Reste un levier sur lequel seule l’institution a la main : la place occupée par les espaces numériques de travail dans le quotidien des élèves. « Dès lors que les enseignants demandent à l’enfant de se connecter à l’ENT tard le soir, tôt le matin, et même le dimanche pour vérifier ses devoirs, l’établissement devient le prescripteur de l’addiction », peste Sabine Duflo. Une idée lancée par la commission serait de paramétrer l’outil afin que les notifications soient coupées le soir et durant les vacances. Quoi qu’il en soit, « on commence à sortir de ce sentiment d’impuissance face à une industrie qui nous a tous piégés », estime Servane Mouton, qui veut croire que le tout-écran sera bientôt une vieille lune : « Les planètes sont alignées, c’est très encourageant ! » 

Il ne décroche pas des écrans !de Sabine Duflo, éd. L’Échappée, 320 p., 14 €.

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